Jiddu Krishnamurti


Toutes les religions enseignent à dominer les sens. Les sens sont ils un obstacle à la découverte de la vérité ?

Pour voir une fleur sous tous ses aspects, pour avoir conscience de sa couleur, de son parfum et de sa beauté, les sens de la vue, du toucher, de l'odorat sont nécessaires. C'est quand on voit un bel homme, une belle femme, une belle voiture, que les ennuis commencent car, alors, le désir intervient.

Vous voyer une belle voiture, il y a successivement perception, sensation, contact et finalement désir. "J'ai envie d'avoir cette voiture, elle est trop belle", et vous dépensez votre vie, votre énergie, votre argent pour acheter cette voiture.

La religion dit "C'est nocif, c'est mal de céder aux choses de ce monde. Vos sens vont s'égarer, il faut donc les juguler, les contrôler. Ne regarder pas les femmes, ou les hommes, faites preuve de discipline, sublimez votre désir"

C'est ainsi que vous commencez à refréner vos sens, ce qui revient en fait à cultiver l'insensibilité. Ou alors face à la laideur et à la saleté ambiante, face à toute cette misère noire et sordide, vous vous voilez la face et vous vous dites : " tout cela est mal, je dois trouver Dieu, je dois trouver la vérité".
D'un coté vous brimez vos sens, vous les rendez invisibles, et de l'autre vous vous efforcez de devenir sensible à Dieu : c'est ainsi que l'insensibilité gagne peu à peu tout votre être. Si vous étouffez le désir, sous quelque forme que ce soit, cela rend évidemment votre esprit insensible, seriez vous même en quête de Dieu.

Le problème est de COMPRENDRE le désir, et non d'en être esclave, et cela suppose de votre part une sensibilité totale, impliquant le corps, l'esprit et le coeur. Il faut être sensible à la beauté comme à la laideur, sensible au ciel, aux fleurs, au vol des oiseaux comme au coucher de soleil se reflétant dans l'eau ou aux visages qui vous entourent, sensible aussi à l'hypocrisie et à la fausseté de vos propres illusions.

L'essentiel, c'est cette "sensibilité élargie" et pas une sensibilité contrôlée, uniquement axée sur la vérité de la beauté et qui nie tout le reste. C'est cette attitude de déni généralisée qui engendre l'insensibilité.

Tout bien considéré, vous vous apercevrez que brimer les sens, les rends insensibles à ce qui est tumultueux, contradictoire, conflictuel ou attristant, revient à nier en bloc la profondeur, la beauté, la gloire de l'existence.

Pour comprendre la vérité, votre sensibilité doit être intacte, totale.

La réalité vous réclame tout entier : c'est avec votre corps, votre esprit et votre coeur, c'est dans votre intégralité d'être humain que vous devez venir à elle, et pas en ayant l'esprit paralysé et émoussé par la discipline.
Vous vous apercevrez alors, que vous n'avez rien à craindre des sens car vous saurez comment négocier avec eux, et ils ne vous détourneront pas du droit chemin. Les sens, vous les comprendrez, vous les aimerez, vous en saisirez la pleine signification, et vous ne vous torturez plus à vouloir les contrôler, les brimer;

L'AMOUR, ce n'est ni l'amour divin, ni l'amour conjugal, ni l'amour fraternel. L'amour c'est simplement l'amour, il échappe à toute définition qui vous soit propre.

Quand vous aimez une fleur de tout votre être, et que vous passez malgré tout votre chemin, ou quand vous aimez un être de manière absolue, de tout votre esprit, de tout votre coeur, de tout votre corps,  vous vous apercevrez alors qu'il n'y a en cela aucun désir, et par conséquent, ni conflit, ni contradiction. Seul l'amour est.

C'est le désir qui crée la contradiction, le malheur, le conflit de ce qui est et ce qui devrait être, l'idéal.

Celui qui a étouffé ses sens et qui s'est rendu insensible ignore ce que c'est l'amour, et il a beau passer les dix mille ans qui viennent à méditer, il ne trouvera pas Dieu.

Ce n'est que lorsque la totalité de votre être est sensible à toute chose, à la profondeur de vos sentiments, et à toutes les extraordinaires complexités de votre esprit, et pas uniquement à ce que vous nommez Dieu, que le désir cesse d'être contradictoire.

Alors se met en oeuvre un processus tout à fait différent, qui n'est pas le processus du désir.

L'amour est à lui-même sa propre éternité, et il a un impact qui n'appartient qu'à lui.

J. KRISHNAMURTI