Toutes les religions enseignent à dominer les sens. Les sens sont ils un obstacle à la découverte de la vérité ?
Pour
voir une fleur sous tous ses aspects, pour avoir conscience de sa
couleur, de son parfum et de sa beauté, les sens de la vue, du toucher,
de l'odorat sont nécessaires. C'est quand on voit un bel homme, une
belle femme, une belle voiture, que les ennuis commencent car, alors, le
désir intervient.
Vous
voyer une belle voiture, il y a successivement perception, sensation,
contact et finalement désir. "J'ai envie d'avoir cette voiture, elle est
trop belle", et vous dépensez votre vie, votre énergie, votre argent
pour acheter cette voiture.
La
religion dit "C'est nocif, c'est mal de céder aux choses de ce monde.
Vos sens vont s'égarer, il faut donc les juguler, les contrôler. Ne
regarder pas les femmes, ou les hommes, faites preuve de discipline,
sublimez votre désir"
C'est
ainsi que vous commencez à refréner vos sens, ce qui revient en fait à
cultiver l'insensibilité. Ou alors face à la laideur et à la saleté
ambiante, face à toute cette misère noire et sordide, vous vous voilez
la face et vous vous dites : " tout cela est mal, je dois trouver Dieu,
je dois trouver la vérité".
D'un
coté vous brimez vos sens, vous les rendez invisibles, et de l'autre
vous vous efforcez de devenir sensible à Dieu : c'est ainsi que
l'insensibilité gagne peu à peu tout votre être. Si vous étouffez le
désir, sous quelque forme que ce soit, cela rend évidemment votre esprit
insensible, seriez vous même en quête de Dieu.
Le
problème est de COMPRENDRE le désir, et non d'en être esclave, et cela
suppose de votre part une sensibilité totale, impliquant le corps,
l'esprit et le coeur. Il faut être sensible à la beauté comme à la
laideur, sensible au ciel, aux fleurs, au vol des oiseaux comme au
coucher de soleil se reflétant dans l'eau ou aux visages qui vous
entourent, sensible aussi à l'hypocrisie et à la fausseté de vos propres
illusions.
L'essentiel,
c'est cette "sensibilité élargie" et pas une sensibilité contrôlée,
uniquement axée sur la vérité de la beauté et qui nie tout le reste.
C'est cette attitude de déni généralisée qui engendre l'insensibilité.
Tout
bien considéré, vous vous apercevrez que brimer les sens, les rends
insensibles à ce qui est tumultueux, contradictoire, conflictuel ou
attristant, revient à nier en bloc la profondeur, la beauté, la gloire
de l'existence.
Pour comprendre la vérité, votre sensibilité doit être intacte, totale.
La
réalité vous réclame tout entier : c'est avec votre corps, votre esprit
et votre coeur, c'est dans votre intégralité d'être humain que vous
devez venir à elle, et pas en ayant l'esprit paralysé et émoussé par la
discipline.
Vous
vous apercevrez alors, que vous n'avez rien à craindre des sens car
vous saurez comment négocier avec eux, et ils ne vous détourneront pas
du droit chemin. Les sens, vous les comprendrez, vous les aimerez, vous
en saisirez la pleine signification, et vous ne vous torturez plus à
vouloir les contrôler, les brimer;
L'AMOUR,
ce n'est ni l'amour divin, ni l'amour conjugal, ni l'amour fraternel.
L'amour c'est simplement l'amour, il échappe à toute définition qui vous
soit propre.
Quand
vous aimez une fleur de tout votre être, et que vous passez malgré tout
votre chemin, ou quand vous aimez un être de manière absolue, de tout
votre esprit, de tout votre coeur, de tout votre corps, vous vous
apercevrez alors qu'il n'y a en cela aucun désir, et par conséquent, ni
conflit, ni contradiction. Seul l'amour est.
C'est le désir qui crée la contradiction, le malheur, le conflit de ce qui est et ce qui devrait être, l'idéal.
Celui
qui a étouffé ses sens et qui s'est rendu insensible ignore ce que
c'est l'amour, et il a beau passer les dix mille ans qui viennent à
méditer, il ne trouvera pas Dieu.
Ce
n'est que lorsque la totalité de votre être est sensible à toute chose,
à la profondeur de vos sentiments, et à toutes les extraordinaires
complexités de votre esprit, et pas uniquement à ce que vous nommez
Dieu, que le désir cesse d'être contradictoire.
Alors se met en oeuvre un processus tout à fait différent, qui n'est pas le processus du désir.
L'amour est à lui-même sa propre éternité, et il a un impact qui n'appartient qu'à lui.
J. KRISHNAMURTI